Le Nouvel Observateur

Elle est lue dans le monde entier, mais personne ne sait qui elle est. Visite guidée du Naples d’Elena Ferrante.

Un phénomène littéraire mondial

Elena Ferrante se cache sous un pseudonyme depuis la parution de son premier roman en 1992. Un mystère qui n’a pas empêché les quatre tomes de ses romans napolitains de se vendre à plus d’un million d’exemplaires dans 27 pays. Pour la France seule, où l’obsession Ferrante se propage principalement grâce au bouche à oreille entre lecteurs enthousiastes, 250 000 exemplaires pour le premier livre – des chiffres impressionnants pour une auteure étrangère et anonyme. Traduits et publiés par Gallimard, les troisième et quatrième tomes sortiront respectivement en janvier 2017 et 2018 au plus tard. N’ayant pas la patience de les attendre, beaucoup de lecteurs français les ont déjà lus en anglais ou en italien.

L’amitié d’Elena et Lila

Si les romans ont eu tant de succès, c’est notamment parce qu’ils traitent d’un sujet délaissé par la littérature : l’amitié entre deux femmes. Elena Greco, la narratrice, nous raconte sa relation avec Lila Cerullo. Cinquante années pendant lesquelles les deux amies s’appuient l’une sur l’autre, se stimulent, s’adorent et se détestent. Tout ce qui les traverse est décrit avec la précision d’un cours d’anatomie – comme si tous leurs dialogues, enregistrés à l’époque, nous étaient restitués intacts.

A la recherche d’Elena Ferrante

On ne sait quasiment rien de l’auteur de la tétralogie napolitaine. L’écrivain répond à ses interviews exclusivement par e-mail, et continue de défendre son droit à rester incognito, voire à mentir. Ce mystère alimente de nombreuses rumeurs – très régulièrement, des gens pensent l’avoir identifié(e) – et génère une intense curiosité. Après avoir lu compulsivement les quatre tomes, le lecteur est tout seul, infiniment triste d’en rester là. Pour prolonger cette lecture, L’Obs est allé à Naples au printemps dernier, pour retrouver un à un les lieux de ces romans qui ont emporté tant d’entre nous.

Le quartier où Elena et Lila grandissent / Rione Luzzatti, Naples

Les deux amies sont nées dans un quartier qui est, avec quasi certitude, celui que vous voyez ci-dessus : le Rione Luzzatti. Elena Ferrante protège le lieu en ne le nommant jamais, mais elle a laissé dans ses livres des dizaines d’indices qui ont permis aux lecteurs napolitains de se mettre d’accord : les rails, un tunnel à trois bouches, l’église, la forme des immeubles… Tout concorde, c’est ici.

Blocs de béton

L’endroit ne ressemble pas à ce qu’on avait imaginé en lisant les romans depuis la France : il n’y a pas de ruelles et de vieilles pierres comme dans le centre-ville de Naples. Au lieu de ça, on trouve une série d’immeubles en béton anguleux construits après la Seconde Guerre mondiale. Une sorte de cité. Proche mais coupé du centre-ville, c’est un îlot dessiné par des rails de chemin de fer, des terrains vagues et une sorte de périph’. Le Vésuve n’est pas si loin, mais depuis les rues enclavées du Rione Luzzatti, il est absent.

La violence vue par une enfant

Le quartier, pauvre, est connu pour être un lieu fréquenté par la Camorra. Dans les livres, cette violence est racontée. D’abord par Elena petite fille, qui la raconte sans la comprendre, d’autant plus que ce sont ses proches qui l’exercent. En grandissant, c’est de plus en plus clair pour elle : des assassinats et des affaires de drogue sont décrits sans complaisance.

La cour d’immeuble qui délimite le monde / Rione Luzzatti, Naples

Plusieurs passages des livres nous laissent penser que c’est ici, ou dans un ensemble voisin qu’Elena Ferrante installe ses deux personnages principaux. Dans la cour de leur enfance, au-delà de laquelle elles s’aventurent rarement et qui décuple les bruits, Lila et Elena entendent la folie d’une voisine ou le mafioso du troisième… Quand une famille déménage au milieu des hurlements, tout le monde est à sa fenêtre, un œil sur le drame, l’autre sur les voisins qui le regardent.

La petite bibliothèque / Rione Luzzatti, Naples

Elena Greco se décrit comme une petite fille scolaire et poussive. Moins douée que Lila Cerullo qui aurait une intelligence hors normes. C’est à la consommation de livres à la bibliothèque de leur quartier qu’elles se mesurent. Au Rione Luzzatti, on découvre un petit bâtiment gris aux fenêtres encombrées de barreaux. Coincé entre la rue et la voie ferrée, il pourrait passer pour un local de repos pour cheminots s’il n’y avait pas cette petite pancarte qui dit « Bibliothèque communale Andreoli ».

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